Picture this: Catherine Sullivan
Tis Pity She’s A Fluxus Whore
L’œuvre ambiguë de Catherine Sullivan découle de son engagement passionné à la fois envers la performance et l’image en mouvement. Cette double intérêt se reflète dans sa formation, ayant obtenu un diplôme d’actrice avant d’obtenir sa maîtrise en arts plastiques au Art Center College of Design de Los Angeles. Elle crée des œuvres théâtrales qu'elle écrit, conçoit et met en scène, impliquant à la fois des acteurs professionnels et non professionnels.
L’œuvre de Sullivan fait appel à la simple présence de l’acte dans tout type de performance, allant de la danse minimaliste aux auditions pour des films hollywoodiens. Sullivan vise à rendre l’acte visible de manière à ce qu'il soit impossible de ne pas voir qu’une performance a lieu.L’œuvre Tis Pity She’s a Fluxus Whore de 2003, présentée ici au Musée Dhondt-Dhaenens, met en avant deux traditions de performance complètement différentes : le drame jacobéen du XVIIe siècle et les actions du mouvement Fluxus du XXe siècle. Le titre de l’œuvre est une parodie de Tis Pity She’s a Whore, la pièce la plus célèbre de John Ford de 1630, qui met en lumière la relation incestueuse entre le frère (Giovanni) et la sœur (Annabella). L’œuvre a connu une production très controversée en Angleterre en 1943, avec le directeur de l’Athénée, Everett Chick Austin, dans le rôle masculin principal, ce qui a suscité de fortes réactions de la part de l’aile conservatrice à l’époque.
Le mot « Fluxus » dans le titre fait référence au célèbre mouvement d’avant-garde international, actif en Europe et aux États-Unis dans les années 1960 et 1970. Il était principalement connu pour son approche interdisciplinaire et multimédia, organisant divers événements éphémères, des concerts, des performances et des publications, plutôt que de créer des objets ou des expositions muséaux. Dans le contexte de l’œuvre de Catherine Sullivan, la présentation Fluxus au Festival of New Art à Aachen, en Allemagne en 1964, est particulièrement pertinente. Les douze artistes qui y ont performé ont été confrontés à des réactions très agressives, voire physiques, du public.
Le programme de l’action Fluxus en 1964 était très peu documenté. Catherine Sullivan a mené des recherches approfondies - y compris des entretiens avec des participants - sur ces actions et leurs réponses hostiles du public. Elle a choisi de se concentrer sur le travail de 8 des 12 artistes participants : Ben Vautier, Bazon Brock, Ludwig Gosewitz, Eric Andersen, Arthur Koepke, Robert Filiou, Wolf Vostell et Joseph Beuys. Parallèlement, elle a également mené des recherches approfondies sur les activités de performance à travers l’histoire au Wadsworth Atheneum, où la production controversée de Ford a eu lieu en 1943.
L’intérêt de Catherine Sullivan pour la recherche de telles sources historiques est également confirmé par la méthode de tournage elle-même. Les deux vidéos de performance de Tis Pity She’s a Fluxus Whore ont été enregistrées dans les théâtres respectifs où les performances originales ont eu lieu, l’Audimax à Aachen et l’Avery Memorial Theatre à Hartford. Cependant, l’intention de Sullivan n’est pas de reconstruire ces performances, mais d’intégrer deux styles de performance complètement différents dans deux 'productions' complètement différentes dans une œuvre entièrement nouvelle. Plutôt que de rester rigoureusement fidèle à la source originale, elle s’en distancie. L’ensemble de l’œuvre implique donc une traduction, dans laquelle le style de performance alterne entre Jacobéen et Fluxus, et vice versa. Tous les rôles, ceux de Ford et des artistes Fluxus, sont joués par un seul acteur, Andrzej Krukowski. Cela résulte en une confusion entre identités, rôles et structures narratives, sapant toute relation compréhensible avec la source originale.
Le résultat final est une double projection sur deux écrans de télévision représentant les mêmes actions dans des styles contrastés. La voix-off présente deux voix, une féminine avec un accent britannique mesuré, et une masculine avec un accent allemand, prononçant respectivement des dialogues de la pièce de Ford et des conversations Fluxus. Dans cette présentation, Catherine Sullivan frustre les deux sources. Non seulement la structure narrative propre au théâtre jacobéen est perturbée, mais aussi l’esprit Fluxus, qui s’opposait vivement à une interprétation trop stylisée de l’art en général, et des actions Fluxus elles-mêmes en particulier.